LE RÉFORMISME ET LE JEU POLITIQUE
La dernière causerie intitulée : « militantisme lgbt : c’est qui et c’est quoi la communauté ? » a été traversé à de nombreuses reprises par la séparation de deux lignes distinctes que nous nommerons réformiste et révolutionnaire. elle s’est traduite dans les discours par une distinction identitaire et politique entre lgbtqia+ d’une part, et tpg/queer de l’autre.
Du coté réformiste, l’acronyme extensible lgbtqia+ qui s’enracine dans le premier militantisme homosexuel (dans la période 1890-1930) était porté par des juristes et des médecins dont le but, toujours inchangé aujourd’hui, consiste à alerter élus et médias sur les discriminations, à réclamer auprès de l’etat des droits et de la reconnaissance ainsi qu’une tolérance du monde social.
Du côté révolutionnaire, on retrouve invariablement depuis les années 70 et le front homosexuel d’action révolutionnaire, le « retournement du stigmate » c’est- à-dire retourner l’insulte en fierté et en sentiment d’appartenance. d’où une proximité avec l’acronyme tpg (transpédégouine), d’où également avec le queer (qui contient cette idée de marginalité, d’inassimilable, de monstrueux).
Une première affinité avec les luttes et les rapports de force se manifeste déjà. En 2022, ces deux lignes sont devenues indépendantes avec leurs histoires, leurs pratiques, leurs discours, leurs horizons. Toutefois, cette vision duale doit être avant tout comprise comme une lecture générale qui vient rattacher la spécificité des luttes et du militantisme des minorités sexuelles à l’histoire. La ligne révolutionnaire comme appartenant à la vague mondiale du début des années 70 et s’élevant des quatre coins du monde, la ligne réformiste comme accompagnant l’histoire de la gauche institutionnelle et du droit. Il faut par ailleurs reconnaitre que nos lignes se sont déjà croisées et se recroiseront peut-être encore. Act-up en est un exemple particulièrement significatif.
La ligne réformiste trouve son affinité avec le monde associatif, avec les partis politiques de gauche et surtout avec les institutions . De l’ONG internationale à la petite association, du local LGBT municipal (prêté par la mairie) à l’émission de télévision sur le coming out, le militantisme réformiste se résume à la question de la gestion : gestion de l’homophobie (donc plus de police… ), gestion de la précarité (donc plus d’encadrement d’insertion sociale), gestion du mal-être (psychiatrisation), gestion des inégalités (accorder plus de droit, de reconnaissance).
La ligne réformiste est un dialogue avec l’État et les institutions pour gérer les populations lgbtqia+. L’horizon réformiste se définit donc par une égalité parfaite entre les différentes composantes de la société.
La ligne révolutionnaire elle, trouve son affinité avec les anarchistes et les radicaux. avec mai 68 en france et les années 70 italiennes les mouvements minoritaires (mouvement des femmes, mouvement homosexuel, mouvements des minorités ethniques, indiens métropolitains, groupes de luttes armées, mouvement squat…) se confrontent aux anciennes structures (syndicats, parti communiste, groupes gauchistes de divers tendances) avec pour enjeux une idée nouvelle de la révolution. Celle-ci devient une confrontation aux normes et aux structures sociales et psychologiques de la société et non plus une prise du pouvoir. La révolution se vit ici et maintenant.
La ligne révolutionnaire dont il est question ici (lutte contre l’hégémonie capitaliste construite historiquement sur les inégalités, la sexualité prise comme un dispositif de pouvoir, lutte contre la famille, structure de base de la société et entité affective aliénée à la production et à la reproduction, lutte contre le régime politique qu’est l’hétérosexualité) est inséparable du mouvement révolutionnaire dans son entièreté.
Il ne s’agira pas ici de faire l’éloge de la ligne révolutionnaire contre la ligne réformiste. Si elles ne sont pas dépendantes, elles permettent chacune à l’autre une liberté plus grande, une capacité d’action renouvelé (la ligne réformiste à préparé une situation dans laquelle nous pouvons nous mouvoir, affirmer, attaquer, construire. Assumer des rapports de forces. et en retour, elle bénéficie des mesures prises quant à ces rapports de forces, mouvements politiques ou autre…). La question de la ligne réformiste sera toujours celle de ne pas se compromettre, de ne pas devenir le pantin du pouvoir. La question de la ligne révolutionnaire sera celle de la pertinence et de l’ampleur de son action. Ces deux écueils devant nous pousser encore à mettre sur pied une véritable stratégie.
Enfin, une dimension essentielle sépare nos deux lignes. Celle de l’intégrité du corps,
celle de la mise en jeu de soi, celle du danger et de la violence. Si les réformistes mettent en jeu leur corps symbolique (voie de citoyen dans les urnes, présence numéraire en manifestation… ), il en va tout autrement de la ligne révolutionnaire. Et en effet, le FHAR est un exemple dont on ne se départit pas aujourd’hui. Se battre contre des fascistes, contre la police, mais aussi contre des discours médicaux, contre des procédures administratives, etc…
La question de la lutte et de la résistance aux situations que l’on nous impose implique obligatoirement, fatalement même, la question de la violence. Celle que l’on subit, encore et encore, mais aussi celle que l’on se réapproprie, pour rendre coup sur coup.