Extrait de la prise de parole effectuée lors de la manif du 25 novembre 2023.
Ce texte, parlant des enjeux de la justice punitive, des keufs, et de la prison, on l’a écrit au titre de l’interorga féministe. On pense que c’est important de parler de ces sujets en tant que féministes, parce que c’est trop souvent des angles morts de nos luttes. Trop souvent, les seules propositions apportées pour régler des problèmes de violences sexistes et sexuelles sont de mieux punir les agresseur.ses. On pense qu’on a besoin de réfléchir plus précisément à ces sujets, et d’essayer de trouver des solutions plus efficaces, plus justes, plus humaines.
Il nous faut des solutions plus efficaces, parce que la taule, la justice punitive, ça ne marche pas pour contrer les VSS ! Le taux de récidive quand une personne sort de prison est élevé (31% des personnes sortant de prison récidivent dans les 12 mois selon le journal Le Monde). La prison ne permet pas de se former et d’avoir accès à des ressources pour comprendre les mécaniques sexistes et patriarcales qui ont poussé l’auteur.e d’agressions à les commettre. Envoyer les gens en prison, c’est cacher le problème, l’envoyer loin de nos yeux pour ne plus y penser.
Il nous faut des solutions plus efficaces aussi, parce que les keufs sont au mieux mal formé.es, au pire consciemment violents dans leur manière d’écouter les personnes qui subissent des VSS. Iels reçoivent les plaintes de façon désastreuse, ne mettent rien en place pour soutenir les victimes, les éloigner de leur conjoint violents, expliquer comment mettre en place un dossier judiciaire avec des preuves concrètes de violences. Sur 100 victimes de viols, pas même 10 ne vont aller porter plainte notamment à cause du traumatisme supplémentaire provoqué par la violence de la police. Sur ces 10 plaintes, à peine 1 amène à une condamnation. Et quelle condamnation ?
Car oui, la condamnation est inefficace : les mesures d’éloignement sont trop souvent ignorées, les violences continuent, voire s’intensifient, et on le répète : la prison n’amène pas les personnes autrices de violences à ne pas les reproduire, bien au contraire !
Mais on ne veut pas s’en arrêter à l’inefficacité. Même si les keufs, la justice punitive, la taule était efficace, ce ne sont pas des solutions viables ! Il nous faut des solutions plus justes ! Les keufs, la justice punitive, la taule, ne protège qu’une catégorie de la population : les femmes cisgenres, blanches, hétérosexuelles, de classe moyenne ou supérieure, valides. Les femmes trans ou personnes transféminines sont agressées par les keufs eux mêmes, mégenrées et attaquées sur leurs transition dès qu’elles essayent de prendre la parole. Les personnes non-blanches sont soit parfaitement ignorées, quand on ne les renvoie pas au fait que ca serait à cause de leur culture qu’elles subiraient des violences patriarcales.
Sans parler des personnes sans papier, qui sortent déjà d’un parcours ultra traumatique, mais ne peuvent même pas avoir accès à une forme de justice une fois installées. Les personnes handi subissent non seulement bien plus de violences patriarcales, mais en plus la réponse institutionnelle est catastrophique ! Les keufs demandent à la personne qui veut porter plainte de trouver un interprète LSF si iel est sourd.e, ou parfois même de « mimer leur viol ».
La liste des violences spécifiques est encore bien trop longue, mais l’enjeu pointé est le suivant : ce sont les catégories les plus privilégiées qui peuvent bénéficier de la justice punitive.
Mais il est important aussi de regarder l’autre face, celle des condamné.es : sur les enjeux de VSS, les statistiques sont accablantes : un mec racisé a 6 fois plus de chances, pour le même acte avec la même quantité de preuve, d’être condamné pour des faits de VSS. Leurs condamnations sont souvent plus longues, plus dures puisque moins d’accès à de la thune dans la prison, et parce que les matons sont bien plus violents avec eux. Les personnes handi psy sont quant à eux non pas condamnés, mais enfermés dans des hôpitaux psy sans droits ni protections aucune ! D’ailleurs, la psychiatrisation des femmes est un enjeu spécifique : elles sont bien plus souvent envoyées en HP que les hommes cis, mais aussi bien plus sous traitement sédatif imposé. La justice punitive est profondément injuste dans les personnes qu’elle protège, et dans les personnes qu’elle condamne. […]
Il nous faut des solutions plus humaines ! C’est pas tolérable de faire subir autant de violences en permanence à des personnes enfermées, quel que soit leur tord, leurs agressions ! C’est pas tolérable qu’à la prison des femmes de Rennes, l’accès à l’eau potable a été impossible pendant des mois l’an dernier ! C’est pas tolérable de laisser des personnes trans en isolement pendant tout le temps de leur condamnation, soit disant
pour les protéger, alors même que les matons eux mêmes les agressent. C’est pas tolérable qu’iels soient enfermé.es selon leur sexe biologique et pas administratif. C’est pas tolérable de faire travailler pour 2€ de l’heure des gens (sans quoi il est très difficile de survivre parce que la taule, ça coûte cher). C’est pas tolérable que les matons agressent en permanence les détenu·es, par des fouilles à nu, des lynchages, des humiliations. C’est pas tolérable que les détenu·es enfermé·es dans des cages à lapins s’agressent tant la pression est forte, tant la violence est là partout, tout le temps ! C’est pas tolérable que les personnes handis psy soient sous psychotropes tout le temps, enfermé.es voire camisolé.es.
Et pour ce qui est des prisons des femmes, les enjeux spécifiques sont tout aussi désastreux : Les fouilles intimes subies en prison s’apparentent à des agression sexuelles banalisées. Les psychotropes sont administrés en plus grande quantité aux prisonnières féminines qu’aux prisonniers masculins. Le milieu carcéral n’est pas épargné par les VSS. Il y a des cas où des membres du personnel carcéral masculin ont fait subir des violences physiques, des agressions sexuelles, des viols, à des prisonnières. Leur position d’autorité quasi absolue leur permet de confisquer des biens, ou accorder/ retirer des privilèges pour obtenir des rapports sexuels non consentis. Et en situation d’enfermement, quels recours peuvent avoir des prisonnières dont la parole est ignorée ?
En plus de ca, une femme en prison a nettement moins de chances d’avoir du soutien de l’extérieur, ce qui rend la prison encore bien plus dur a vivre. […] Bref, la justice punitive est injuste, inefficace, et profondément inhumaine ! On ne pourra jamais réformer l’enfermement, la violences des keufs, le racisme, le sexisme, les LGBTphobies ancrées dans la justice punitive. Alors il faut changer de système ! Il nous faut sortir du système carcéral, pour aller vers une justice plus efficace, plus juste, plus humaine. Le fait de produire des violences ne doit pas amener à perdre son statut d’humain, ses droits, sa dignité. D’ailleurs, ce ne sont même pas les attentes des victimes d’agression. Souvent, les besoins sont bien plus d’obtenir réparation, de faire en sorte que la personne ne reproduise plus ces actes, de prendre soin de soi pour regagner en confiance et en stabilité. La vengeance, l’envie de punition, arrivent bien après.
Nous voulons porter un féminisme anticarcéral, et nous voulons porter d’autres solutions, les créer ensemble, les expérimenter au sein de nos milieux ! Nous voulons pratiquer d’autres formes de justice, comme la justice transformatrice, qui permettent à la fois aux personnes qui ont subi des agressions de s’en sortir au mieux, à la fois aux personnes qui ont produit des agressions d’évoluer sur le sujet et de ne plus refaire ce genre de violence. Nous ne voulons pas compter sur les prisons, sur la punition, pour faire évoluer la société, elle ne peut pas le faire ! Nous voulons un monde où chaque personne peut vivre libre, digne, et ça ne passera pas par l’abandon et la déshumanisation des personnes qui ont eu des comportements, si horribles soient ils !
En taule, dehors, chez nous : libres ensemble ou pas du tout !